Migaud, Fender, Rambaud… et les petits lapins
Pour éviter le doute sur la probité de l’État, les corps de contrôle doivent mettre les bouchées doubles. Pierre Fender, pour la CNAMTS donne l’exemple… sous le regard des citoyens.
Dans la littérature enfantine, le renard, voleur de poules, sympathise parfois avec sa gallinacée, kidnappée sous les yeux des petits lapins médusés.
Mais par temps de crise les lapins finissent par se mettre en colère. L’alourdissement des impôts excite les mécontents. Dans notre pays, Jean-Luc Mélenchon, leader du Front de Gauche, prend la tête des léporidés en comparant notre époque à celle de 1788, sans trop qu’on sache qui de Turgot ou de Necker aura la tête sur le billot.
Une crise additionnée d’un peu de méthane préélectoral donne à ce printemps précoce plusieurs raisons de se plaindre d’une pollution nauséabonde. Et on nous ressert du Buisson, pour le coup moins ardent qu’à l’époque où Sarkozy se laissait révéler les vérités univoques de l’extrême droite. Et on remue le fond des poubelles dans l’espoir d’y trouver quelque immondice à jeter à la tête de l’autre. Le Monde ne vient-il pas de publier un article sur Villepin qui aurait touché 100 000 euros dans une journée ?
Ce qui déconcerte dans ce genre d’information est l’énormité des sommes, la démesure des enjeux, comparés aux salaires d’une grosse majorité de Français (salaire médian en 2013 : 1713 euros nets) et aux mesquins redressements fiscaux dont sont parfois l’objet une poignée de contribuables.
Bref ! Période de tous les dangers pour nos frêles équilibres démocratiques. Il faut peu de choses pour que le pays s’enflamme.
L’overdose médiatique : de Dvořāk à Biba
La relation médecin/patient a subi les influences d’un environnement évolutif marqué essentiellement par l’essor économique. Car, comme le signale avec clairvoyance Jean Fourastié en 1979 dans un opuscule resté célèbre, « les trente glorieuses », la France entre 1945 (année de naissance de la sécu) et 1973 a vécu une « révolution invisible » (sous-titre du livre) marquée par son entrée, quelques années après les Etats-Unis, dans la société de consommation.
Les biens et services médicaux ont suivi le même chemin que les aspirateurs et les réfrigérateurs. La croissance et l’augmentation du pouvoir d’achat ont permis aux Français d’acheter des tables en formica, des pavillons en banlieue et des vacances en camping à Saint-Malo ; la quasi-gratuité des soins offerte par la sécurité sociale de Monsieur Laroque a autorisé parallèlement chaque assuré social à s’abonner à son généraliste.
La médecine a donc utilisé les mêmes canaux que les autres biens de consommation : la télé, la presse, le net.
Constate-t-on une influence des médias sur les consommations de biens et services de santé ? Beaucoup de témoignages affirment que le comportement des patients est largement influencé par les informations que ceux-ci reçoivent tous les jours par le canal des principaux médias de masse. À vrai dire, nous n’avons pas trouvé d’études ou d’observations scientifiques permettant d’accréditer cette intuition forte.
La médecine dans la lucarne
À regarder de plus près la consommation de soins, il est vrai que la courbe suit « la révolution invisible » de Fourastié. La CSBM n’a pas cessé de croître depuis plus d’un demi-siècle. Le graphique présenté dans le n° 831 de la DREES est caractéristique : une diagonale qui part à 2% du PIB en 1950 pour arriver à 10% en 2010.
En structures, le point de vue change. La part du revenu des ménages consacrée à la santé évolue très doucement en un demi siècle. Elle côtoie la part consacrée au tabac et à l’alcool (tout un symbole !), respectivement presque 4% du budget des ménages.
Graphique Galilée réalisé à partir des données de l’INSEE.
Dvořāk et la médecine en nœud-pap’
La télévision fait son apparition juste après la guerre. Et la santé fait son apparition à la télévision à la fin des années 50. Objet de luxe réservé à quelques centaines de privilégiés en 1949 (il fallait 7 mois de salaire d’un ouvrier qualifié pour se payer un poste de télévision), ils sont 2 millions de Français à en posséder un en 1960, 10% des foyers. La télévision devient un objet de consommation courant. En 2000, 98% des Français regardent la télévision plus de 3 heures par jour.
« Médicales », la première émission sur la santé est diffusée en 1956. Elle est créée par Igor Barrère, mousquetaire avec Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet, Pierre Lazaref, des fameuses « cinq colonnes à la Une », émission de reportage sur l’actualité politique qui a su se dégager des tenailles de la censure gaulliste.
Rebaptisée « Médecine à la Une » puis « santé à la Une« , l’émission médicale coproduite par Etienne Lalou, durera jusqu’en 1984.
L’hôpital fait l’objet d’une réforme en 1958 qui lui donne son envol et sa réputation d’excellence. La caméra d’Igor Barrère va pénétrer dans ce milieu secret de la recherche, de la découverte, de la prouesse technologique, elle va s’introduire dans les blocs opératoires et même dans le corps humain. Après un jingle connu de tous les Français de cette époque (la symphonie du Nouveau Monde d’Anton Dvořák), l’émission commençait généralement par un entretien avec un hautain patron hospitalier, le plus souvent un chirurgien, qui faisait un cours condescendant de médecine, revêtu de sa blouse blanche et arborant son stéthoscope. Le patient était à peine entrevu. Il allait bien. Bien sûr.
Les médecins généralistes de l’époque verront débarquer le lendemain dans leur cabinet tous les hypocondriaques du quartier.
La Cour… toujours
Le roboratif rapport annuel de la Cour des Comptes fait le point sur les suites données à ses contrôles. Le Gouvernement n’est pas le plus mauvais élève. Mais on ne sait rien sur les communes. Élections obligent.

Une remise d’Oscars à l’envers pour la Cour des Comptes
La publication du rapport de la Cour des Comptes est toujours un événement. Entre les primés de la mauvaise gestion et les nominés du laxisme, la Cour mériterait une remise de prix largement diffusée sur les chaînes de télévision publiques, avec smokings et nœuds pap’, magistrats en robe et hermine, gardes républicains en tenue d’apparat.
Une remise d’Oscars à l’envers en quelque sorte avec une distribution de bonnets d’âne.
« Le prix de la gestion la plus désordonnée est attribué à… la CIPAV (caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse des professions libérales) ».
« Le prix du meilleur fiasco financier est attribué à… la coopération franco-britannique en matière de porte-avions ».
« Le prix de la débrouille est décerné… aux 800 000 personnes qui voyagent à l’œil à la SNCF. »
Et ainsi de suite, car les 1 500 pages du rapport regorgent de données qui auraient certainement fait le bonheur de Jean-Pierre Pernaut il y a quelques années dans une émission nunuche, « Combien ça coûte ? », malheureusement susceptible de réapparaître sur la chaîne de Bouygues pour le grand bonheur du contribuable moyen.
Le plus succulent sous embargo
Si l’accès public aux contrôles et avis intégraux de la Cour est une exigence démocratique, la vulgarisation par les médias est à prendre avec des pincettes. Le Monde en a fait une présentation plutôt intelligente avec cette tentation cependant (comme nous l’avons fait ci-dessus) de ne retenir que les sujets les plus friands. Idem pour Libération. Mais Le Point fait sa manchette sur le privilège des cheminots et BFMTV fait la même chose, alors que, tout bien pesé, la SNCF n’est pas sur le podium des plus nuls mais dans la catégorie des élèves à surveiller.
C’est là tout le danger. Chaque média puise dans les rayons des comptes publics ce qui correspond à son lectorat au risque de shunter l’essentiel, parler de la fuite du lavabo alors que le pays est inondé.
Le Sénat au chevet des ARS
Démocratie sanitaire : trompe-l’œil, coup d’État ou usine à gaz ?
Le rapport de Claire Compagnon fait un état des lieux exhaustif et objectif de la participation des patients au système de santé. Mais ses recommandations, quand elles ne hérissent pas, sont quand même de tous les dangers.
La connotation très révolutionnaire du rapport que vient de remettre Claire Compagnon à Marisol Touraine sur « la démocratie sanitaire » n’est pas un hasard. Pourquoi en effet avoir choisi le terme « an II » plutôt que « acte II » pour cet imposant codicille aux fondamentaux kouchnériens de 2002 ?
Pour répondre poliment à Marisol Touraine peut-être ? Car le site du ministère précise que « La mission confiée à Claire Compagnon incarne la volonté de refondation (…) au coeur de la stratégie nationale de santé ». « Refonder » veut dire « changer les fondements ». Allons ! On ne touche pas aux textes sacrés, la loi du 4 mars 2002 a été sanctuarisée aussi bien par la gauche que par la droite.
Autre hypothèse pour son auteure : profiter d’une opportunité pour frapper fort sur la forme faute d’être entendue sur le fond, convaincue que, le plus souvent, les rapports ne servent à rien. Comme le remarque Eric Favereau dans Libération « La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a pris une drôle d’habitude : elle commande des rapports à d’éminentes personnalités. Ces dernières les lui rendent, et ensuite… Il ne se passe rien. Vendredi dernier, rebelote. » En réalité, cette habitude n’est pas propre à la ministre actuelle. L’appel à des stars s’est institutionnalisé alors que la Cour des Comptes et l’IGAS sont faites pour ça. Et tous les auteurs réclament l’intégralité et l’immédiateté de la mise en place de leurs recommandations.
Dans la lettre de mission, Touraine parle de « prolongement de la mission Couty ». Cela tombe bien car on ne peut pas dire que le rapport de l’ancien directeur de l’organisation des soins ait laissé un souvenir inaltérable.
Le clin d’œil à la Terreur de 1793 est sûrement maladroit mais la relance de cette véritable « révolution copernicienne » (expression de Dominique Thouvenin que reprend l’auteure pour évoquer la révolution des patients) apparaît dans le rapport comme une impérieuse nécessité. La démocratie sanitaire aurait eu sa prise de la Bastille, il lui manquerait un An II. Faudra-t-il couper des têtes ? Non, il y a belle lurette qu’elles sont déjà tombées.
Explications.
ARS Rhône-Alpes : les dessous d’un limogeage
Petit Poucet deviendra grand
DMP : chronique d’une folie d’État
Le DMP, dossier médical partagé devenu « personnel» à force de balbutiements stratégiques, n’en finit pas d’agoniser. L’énormité des sommes englouties n’étonne plus. Le fiasco fait à peine l’objet de temps à autres d’un subreptice article dans la presse. Comment expliquer cet échec, alors que la plupart des autres secteurs ont réussi leur tournant technologique ? Le DMP est le prototype même d’une couillonnade publique hissée en dix ans au niveau de l’excellence dans l’échelle du ridicule.
Douste l’approximatif
Tout le monde se gausse de Douste-Blazy, coupable d’avoir imprudemment annoncé en 2004, alors qu’il était ministre de la santé et de la protection sociale, l’accès de chaque Français à son dossier médical informatisé d’ici… 2007. Ceux qui l’ont connu ou simplement côtoyé savent que le maire de Toulouse survolait les dossiers, ne regardait pas ses notes et donnait des sueurs froides à ses scribouillards lorsqu’il commençait un discours. On ne nous enlèvera pas de l’idée qu’il n’y avait pas, dans son cabinet, quelques esprits éclairés sur les questions de technologies de santé pour lui souffler une énormité pareille. Si la vision n’était pas fausse et eut pu fort bien être inspirée par un Alexandre Moatti alors conseiller du ministre, le premier « monsieur DMP » avant son officialisation par la loi du 13 août 2004, l’argument économique, selon lequel le dossier médical éviterait 3 milliards d’euros de dépenses par an à la sécu, relève davantage de la rhétorique du directeur de cabinet lui-même, un certain Frédéric Van Roekeghem, dont on connaît aujourd’hui la destinée.
Peu importe aujourd’hui la responsabilité des Pygmalion de l’époque. Le discours est parti trop vite. Le concept n’a pas été ficelé. On y décèle en effet trois fonctions dont on ne sait pas, dix ans après, encore se départir :
- Coordination entre les professionnels
- Information du patient
- Économie pour la sécu.